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Le poids invisible de la performance : le revers du sport extrême amateur

  • Valentin
  • 25 juil.
  • 8 min de lecture

Marathons, Ironman, trails au crépuscule… Derrière chaque chrono pointé vers l’exploit se cache une équation complexe. Le sport amateur intensif n’est plus seulement une passion : c’est un mode de vie qui, sans équilibre, peut mener à la limite du physique, du mental et du social.


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1-Le RED‑S, ce mal invisible : entre fatigue mentale, obsession et performance qui flanche


Ce qui rend le syndrome RED‑S si difficile à détecter, ce n’est pas seulement la complexité de ses effets physiologiques. C’est aussi son caractère sournois, presque silencieux. Il s’installe sans faire de bruit, parfois même chez des sportifs “en forme”, motivés, disciplinés… mais fatigués sans comprendre pourquoi.

On croit souvent — à tort — que ce genre de dérèglement ne concerne que les athlètes souffrant de troubles alimentaires visibles. Mais la restriction énergétique est souvent involontaire. Il ne s’agit pas d’anorexie, mais d’un décalage chronique entre les apports alimentaires et les besoins du corps.


Cela peut venir :

  • d’un entraînement trop fréquent ou trop intense,

  • d’une nutrition trop “saine” mais trop pauvre (low carb, jeûne intermittent mal géré…),

  • d’un rapport biaisé à la nourriture (culpabilité, contrôle, volonté de rester “léger” ou affûté),

  • ou simplement… d’un oubli de manger assez.


Dans cette configuration, le cerveau reçoit moins de carburant, et cela se traduit par une fatigue mentale progressive, un retrait émotionnel, une perte de plaisir à s’entraîner, une obsession des performances, voire une sensation de brouillard mental permanent. Le sportif devient alors moins lucide, plus irritable, plus rigide, sans pour autant faire le lien avec l’alimentation ou la récupération.

Le danger ? C’est de croire que tout va bien parce qu’on tient encore debout. Jusqu’au jour où le corps ne suit plus. Un matin, le cœur est plus lent que jamais, la motivation absente, les douleurs constantes. Et l’on se demande ce qu’on a “mal fait”.


Signes d’alerte : quand s’inquiéter ?


Le RED‑S n’a pas de signal unique, mais un faisceau d’indices doit alerter :

  • Fatigue qui persiste malgré un bon sommeil

  • Blessures chroniques ou récidivantes (tendinopathies, fractures de fatigue)

  • Cycles menstruels irréguliers ou absents (chez les femmes)

  • Troubles digestifs, ballonnements, transit ralenti

  • Baisse de libido ou d’envie d’intimité

  • Perte de plaisir dans l’entraînement, automatismes sans émotion

  • Perception floue des sensations corporelles

  • Ralentissement du rythme cardiaque au repos (bradycardie)

  • Pensées obsessionnelles autour de la performance, du poids, de l’entraînement


Le retour à l’équilibre passe rarement par une seule solution. C’est un travail multidisciplinaire, progressif, et surtout… non culpabilisant.


Voici quelques pistes validées par la recherche clinique :

  1. Revoir son apport énergétique globalCalculer ses besoins réels avec un professionnel si besoin ; manger davantage autour des séances ; intégrer des collations riches et denses.

  2. Écouter les signaux internes, pas les applisNe pas confondre calories affichées sur une montre avec les besoins cellulaires ; réapprendre à ressentir la faim et la satiété.

  3. Réintégrer du repos réel, assuméDes jours off sans culpabilité, où on ne s’entraîne pas du tout. Ni footing, ni yoga, ni gainage “pour compenser”.

  4. Reformuler son rapport à la performanceAccepter que ralentir, c’est parfois progresser. Que manger plus, c’est renforcer son corps, pas l’alourdir.

  5. S’entourerNutritionniste du sport, ostéopathe, préparateur mental, médecin du sport : le corps et l’esprit se reconstruisent mieux en équipe.


Une étude publiée dans British Journal of Sports Medicine (2021) montre que près de 47 % des coureurs d’endurance amateurs présentent au moins un critère clinique de RED‑S sans en avoir conscience.

2-Le poids social de l’effort : quand la performance façonne les liens


Si le sport est un moteur d’équilibre pour beaucoup, il peut aussi, dans ses formes les plus intenses, modifier profondément le tissu relationnel de celui ou celle qui le pratique.

L’amateur engagé — triathlète, ultra-traileur, CrossFiteur en phase de compétition — n’est plus tout à fait dans le loisir. Il vit son entraînement comme un engagement de vie. Avec ses horaires, ses rituels, ses interdits, sa bulle. Et cet engagement, bien que volontaire, entraîne des frictions invisibles avec le monde autour.


Sport et vie de couple : le troisième dans la pièce


Le sport, quand il devient central, peut parfois devenir… le rival silencieux dans la relation de couple.

  • "Tu rentres tard, t’es toujours fatigué·e."

  • "On ne peut jamais partir spontanément."

  • "Ton vélo a plus de place dans le salon que moi."

  • "T’as pas bu, t’as pas mangé, t’as couru, mais t’es pas bien quand même."


Ce ne sont pas des plaintes anodines. Ce sont les signaux faibles d’un

déséquilibre relationnel, où le partenaire a parfois le sentiment de ne plus “être choisi”. Une étude de Zachary et al., 2022 dans Journal of Sport Behavior souligne que chez les sportifs amateurs pratiquant +10h/semaine, le taux de conflit conjugal lié au sport monte à 37 %, souvent sur des sujets de charge mentale, de gestion du temps et d’isolement émotionnel.

Certains couples s’adaptent et créent des routines partagées. Mais d’autres… s’effritent.


Isolement social : l’effet “ascèse” moderne


Le sport intense demande du temps, de la planification, du sommeil, des contraintes alimentaires. Et il déstructure peu à peu les habitudes sociales "classiques" : sorties, apéros, fêtes, weekends spontanés, grasses matinées.

Pour l’athlète amateur investi, le quotidien devient un territoire planifié, qui s’éloigne des rythmes des autres. Et cela, c’est une forme d’isolement choisi, mais parfois pesant.

L’étude "Running Alone: Social Costs of Endurance Sports" (Smith et al., 2021) révèle que chez les coureurs de fond engagés, 42 % déclarent avoir perdu ou distendu des liens sociaux au fil de leur montée en charge. Le paradoxe ? Le sport connecte par ses communautés, mais déconnecte parfois du cercle proche.


Identité de l’effort : quand on devient "celui qui court"


Autre impact majeur : le glissement identitaire. L’ultra-traileur devient l’ultra-traileur. Le marathonien devient “celui qui se lève à 6h pour courir”. Et parfois, on ne sait plus trop où finit la personne et où commence la performance.

C’est valorisant au début. Mais déstabilisant quand l’entraînement s’arrête, quand une blessure oblige à lever le pied, ou quand les performances stagnent.

C’est là que la psychologie du sportif amateur s’effondre parfois. Car tout ce qui ne court pas, ne pédale pas, ne progresse pas… n’a plus de valeur.


Quand le sport devient “coping” : fuite ou dépassement ?


Ce besoin d’aller toujours plus loin, toujours plus vite, n’est pas toujours dicté par la passion. Il est parfois une stratégie d’adaptation mentale. Une forme de contrôle sur soi pour ne pas subir ce qu’on ne contrôle pas autour.

En psychologie, on parle de "coping par surinvestissement", où le sport devient le moyen de réguler ses émotions, de fuir l’anxiété, ou de réaffirmer son identité.

Mais le danger, c’est que ce coping devient rigide. On ne peut plus “ne pas faire”. On ne peut plus “rater”. On ne peut plus “changer le plan”.


Que faire ? Réconcilier sport et relation humaine


Briser cet isolement ne signifie pas abandonner sa passion.

Cela implique de :

  • Faire de la place pour les autres dans le projet sportif : expliquer ses choix, partager ses objectifs, créer des temps communs.

  • Redonner de la souplesse : permettre parfois l’imprévu, même si ce n’est pas optimal.

  • Travailler son identité au-delà du sport : qui suis-je quand je ne m’entraîne pas ? Qu’est-ce qui me définit en dehors du chrono ?

  • Accepter les phases de vide sans se sentir perdu : une blessure, une pause, une régression, ne sont pas des échecs. Ce sont des respirations.


3-Le corps qui parle : quand la blessure n’est plus un hasard


Chez les sportifs amateurs très engagés, les blessures ne sont ni rares, ni banales. Mais ce qui les rend particulièrement complexes, c’est qu’elles sont souvent sous-estimées ou niées, jusqu’à devenir chroniques.

On ne parle pas ici d’un simple claquage ou d’une entorse isolée, mais de ces douleurs récurrentes, latentes, persistantes, que l’on gère avec du tape, du froid, du chaud, ou du silence.


Micro-blessures, maxi conséquences


Une étude de 2023 publiée dans Sports Health montre que chez les coureurs amateurs qui s'entraînent plus de 5 fois/semaine, le taux de blessures de surutilisation atteint 58 %.

Ce sont des douleurs qui s’installent progressivement :

  • Tensions tendineuses (Achille, rotulien, ischio),

  • Lumbago cyclique,

  • Douleurs diffuses du bassin ou de la ceinture scapulaire,

  • Périostites, fasciites, épicondylites…

Et pourtant, le sportif continue. Parfois par peur de perdre son niveau, son image, ou simplement parce que l'effort est devenu un rituel existentiel.

Mais la blessure, dans ce contexte, n’est pas qu’un accident mécanique. Elle est un langage.


Blessure et charge mentale : la boucle corps-cerveau


Des recherches récentes, notamment dans Frontiers in Psychology (2022), soulignent un lien direct entre fatigue mentale, stress chronique, et augmentation du risque de blessure.

Un athlète amateur très investi :

  • dort souvent moins (à cause du volume d'entraînement ou du stress de performance),

  • se surcharge mentalement (planification, pression sociale, auto-comparaison),

  • mange parfois de manière inadéquate (restriction, timing, obsessions),

  • et cumule charge pro + charge sportive + attentes personnelles.


Tout cela altère la récupération neuromusculaire. Le corps est prêt… mais fatigué. Le geste est bon… mais moins fluide. Le stress contracte. L’attention baisse. Et la blessure survient.

Dans une méta-analyse parue dans Journal of Athletic Training (2021), on apprend que le stress perçu est un prédicteur fiable du risque de blessure, parfois plus que la charge physique elle-même.


Douleur chronique : quand la blessure devient identité


Chez certains athlètes amateurs blessés, la douleur ne disparaît pas malgré le repos, la kiné, l’ostéo, les infiltrations. On entre alors dans le modèle bio-psycho-social de la douleur.

Le corps a été sursollicité. Mais aussi, l’esprit s’est accroché à l'identité de la performance, et la blessure devient une sorte de nœud émotionnel :

“Je veux aller mieux, mais si je reprends je vais tout casser.”“Je veux guérir, mais j’ai peur d’y croire.”“Je suis un triathlète… sans triathlon.”

Le sportif se vit comme incomplet. Et cela bloque la progression, la guérison, la confiance.


Les signaux précoces : quand le corps murmure avant de crier


Avant la blessure nette, il y a souvent des micro-signaux que l’on ignore :

  • fatigue persistante malgré un bon sommeil,

  • perte de coordination ou geste “flou”,

  • douleurs asymétriques ou instables,

  • irritabilité, baisse de motivation, troubles du sommeil,

  • envie de s’entraîner mais corps “lourd” ou peu réactif.

Des tests simples comme l’HRV (variabilité de la fréquence cardiaque), la qualité du sommeil, la récupération perçue ou les ressentis de douleurs à froid, sont des indicateurs clés d’un déséquilibre naissant.


Écouter, ralentir, réorienter


La performance durable ne vient pas d’un mental d’acier ou d’un plan rigide, mais d’une capacité à s’autoréguler.

  • Mettre en place un suivi global : ostéopathe, kiné du sport, médecin, psychologue du sport si besoin.

  • Travailler la charge mentale autant que la charge physique.

  • Intégrer des semaines de récupération active planifiée, pas juste après la blessure.

  • S’entraîner à entendre les signaux faibles, pas seulement les alarmes.


Et surtout : réconcilier le corps avec l’idée qu’il a le droit de dire non. Même au nom d’un rêve. Même pour un chrono. Même si l’on pensait être “fort”.


Conclusion – Quand l’effort devient excès, quand la passion devient pression


Le sport amateur extrême n’a plus rien d’amateur. Il emprunte tout au haut niveau : les charges d’entraînement, les protocoles, les sacrifices — mais sans le staff, sans la récupération, sans la reconnaissance. Et c’est là que le bât blesse.

Derrière chaque dossard, chaque triathlète du dimanche, chaque coureur de trail de 45 km "juste pour le plaisir", il y a un corps qui encaisse. Un esprit qui doute. Une famille qui s’adapte. Des douleurs qu’on tait. Des victoires qui ne suffisent parfois plus à justifier les pertes.

RED-S, blessures chroniques, troubles du sommeil, conflits familiaux, fatigue mentale… Ce ne sont pas des dérives réservées au sport professionnel. Ce sont des réalités qui s’invitent aussi dans nos vies “ordinaires” dès que la ligne est franchie entre plaisir et performance, entre engagement et obsession.

Mais il ne s’agit pas de faire le procès du dépassement de soi. Il s’agit de redonner de la nuance, du soin, de l’écoute. De rappeler qu’il est possible de s’entraîner fort sans s’oublier, de viser haut sans se sacrifier, de repousser ses limites sans les briser.


Vers un sport amateur durable


L’avenir du sport amateur — celui qui nous construit, nous soigne, nous transcende — passera par une approche plus holistique, plus interdisciplinaire, plus humaine.

  • Par des ostéopathes, des kinés, des diététiciens, des psychologues du sport capables de travailler ensemble.

  • Par des coachs formés à la gestion mentale et à la charge.

  • Par des sportifs mieux informés, mieux accompagnés, mieux écoutés.

Parce qu’à la fin, le vrai défi n’est pas de finir un Ironman. C’est de rester entier, aligné, et vivant longtemps après.

 
 
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